Pr Nicolas Franck : « Le confinement altère notre santé mentale »
Le Pr Nicolas Franck livre quelques solutions pour faire face au stress lié à l’enfermement.
Lecture : 4 minutes Auteur d’une étude et d’un ouvrage consacrés aux effets du confinement sur la santé mentale de la population (*), ce psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon, alerte sur les conséquences du stress causé par l’enfermement et livre quelques solutions pour y faire face. Nous basculons dans un nouveau confinement. Cela inquiète-t-il le psychiatre que vous êtes ? Oui, d’autant que nous avons pu évaluer à travers notre étude les effets du premier confinement, qui nous a donné l’occasion de mesurer l’impact qu’avait cette situation sur le bien-être mental des Français, qui est le principal témoin de notre santé mentale collective. Ce que révélait cet indicateur, c’est que le confinement provoquait une altération progressive de la santé mentale, et que ce mouvement allait en s’aggravant au fil des huit semaines. Quels sont les risques principaux liés au confinement ? L’altération du bien-être mental, liée à une augmentation du stress, peut conduire chez certains individus à un dépassement du seuil de fragilité. Or, le confinement nous met en condition de dépasser ce seuil. Cela entraîne des risques de rumination mentale, d’anxiété, de troubles du sommeil ou de l’appétit, ce qui peut déboucher sur des troubles anxieux ou dépressifs installés dans la durée. Qui est menacé ? Les personnes atteintes de pathologies ? Ce risque n’est absolument pas réservé aux personnes déjà identifiées ou suivies pour des pathologies mentales. Chacun peut voir sa santé mentale altérée en raison du stress causé par le confinement. Bien entendu, les conditions sociales, familiales et économiques jouent un rôle important : au premier rang des victimes potentielles, on trouve, sans que ces critères soient cumulatifs, les personnes vivant seules, dans de petites surfaces, sans emploi ou déjà atteintes par un handicap. Comment pouvons-nous traverser au mieux cette période ? Sur un plan général, il est important de pouvoir organiser ses journées, de veiller à avoir une alimentation diversifiée, de maintenir une activité physique et de conserver des liens sociaux via les réseaux de communication. Mais tout le monde n’a pas les mêmes besoins. Certains, par exemple, n’ont absolument pas souffert de l’absence de liens sociaux lors du premier confinement. D’autres ont fait de véritables burn-out parce que les vies privées, familiales et professionnelles se télescopaient à la maison et que ça devenait insurmontable pour eux. C’est pour cela qu’il est très important de fixer un cadre à cette période de confinement. C’est un peu comme pour la retraite : si vous n’avez rien prévu, il y a des chances que ça vire à la catastrophe ! Ne sommes-nous pas mieux préparés avec cette première expérience des mois de mars et d’avril ? On peut s’appuyer sur cette expérience bien sûr, mais cela peut aussi réactiver un vécu, des angoisses. D’autant que la première fois, on était dans l’optique d’une épidémie qui durerait quelques mois avant de s’estomper avec l’apparition d’un vaccin. Impression renforcée ensuite avec le déconfinement, qui s’est plutôt bien passé. Aujourd’hui, c’est différent : on voit bien que la deuxième vague est là, que l’épidémie s’installe et que les essais cliniques prennent du temps. Nous entrons de plus dans une période de faible luminosité, qui est traditionnellement propice aux épisodes dépressifs, et nous ne pouvons plus nous projeter sur du court terme. Cela risque de rendre la situation plus difficile pour la population. Sur le plan national, sommes-nous prêts à prendre en charge les personnes atteintes de troubles mentaux liés au confinement ? La santé mentale est un des enjeux essentiels de cette pandémie, après les places en réanimation et l’enjeu économique. Mais je suis bien conscient qu’il est difficile de mobiliser les moyens nécessaires en si peu de temps. Nous manquons d’hommes et de femmes et les médecins psychiatres comme les infirmiers en psychiatrie ne sont pas nombreux. En revanche, nous pouvons nous réorganiser. Par exemple, à Lyon, nous mettons en place, dès la semaine prochaine, une consultation spécifique covid-19, qui accueillera les personnes qui se sentent impactées par cette crise sanitaire. Mais il nous faut aussi impérativement envisager le long terme : ce n’est pas parce qu’on va sauver des gens qu’ils vont se sentir bien. Quelqu’un qui aura passé des semaines en réanimation et qui se sera vu mort devra être accompagné pour soigner un traumatisme lourd. En médecine de guerre, il y a la chirurgie puis la psychiatrie. Là, ça va être un peu pareil ; la psychiatrie va être un élément déterminant dans la prise en charge d’une population potentiellement souffrante, donc inefficace, peu productive, peu ou pas disponible pour sa famille et ses proches. Et cela va demander du temps et des moyens. * À lire : « Covid-19 et détresse psychologique », éditions Odile Jacob, 218 pages, 21,90 €.